Article publié le 8 mai 2020
Quel feuilleton ces masques ! Nous ne parlerons pas ici des masques chirurgicaux et ceux de protection respiratoire (type FFP2…) dont la quantité en stock, l’utilité et l’usage ont été à géométrie variable depuis février, selon l’éloquence schizophrène du gouvernement.
Notre sujet, ce sont les masques en tissu dits “grand public”. Leur port sera obligatoire notamment dans les transports et quand les distances de sécurité ne pourront être garanties. On peut ou pourra en acheter des versions “Filtration garantie – Testé N lavages” (N pouvant variant de 0 à 50), dans les bureaux de tabac notamment. Les mairies et collectivités ont commencé ou vont en distribuer gratuitement selon des calendriers qui restent parfois encore à préciser. On est également invité à en confectionner soi-même (discours du Premier Ministre du 28 avril). On se demande bien, dans ce cas, comment garantir un niveau de filtration ? Essayons quand même d’y voir plus clair.
Petit rappel des faits
Courant mars, 2 catégories de masques à usage non sanitaire ont été créés :
- Les masques individuels à usage des professionnels en contact avec le public (catégorie 1) qui doivent filtrer au moins 90% des particules émises d’une taille supérieure ou égale à 3 microns ;
- Les masques à visée collective pour protéger l’ensemble d’un groupe portant ces masques (catégorie 2), qui doivent filtrer au moins 70% des particules émises d’une taille supérieure ou égale à 3 microns. ” Ces masques « grand public » sont principalement destinés à des individus dans le cadre de leur activité professionnelle et pourront également être proposés au plus grand nombre à l’occasion de sorties autorisées dans le contexte du confinement, puis du déconfinement.”
L’Institut Français du Textile-Habillement avec la Direction Générale de l’Armement ont mis en place des tests afin d’établir l’efficacité de ces masques sur 2 critères : le pourcentage de filtration des particules et la respirabilité.
Par ailleurs, fin mars, l’AFNOR (Agence Française de Normalisation) a publié un guide à destination des professionnels mais également des particuliers concernant la conception de ces masques – l’AFNOR utilise alors le terme de “masque barrière”-, avec notamment les précautions d’usage, le patron et la gamme de montage de 2 modèles préconisés (masque à plis et masque bec de canard). C’est à partir de ce moment-là, que le modèle de masque avec une couture sagittale (du nez au menton au milieu du masque), qui circulait depuis la publication d’un tutoriel du CHU de Grenoble, a été “décrié”. En effet, il n’est pas recommandé car la couture au milieu pose un problème de filtration.
A suivi en avril, la création des logos “Filtration garantie – Testé N lavages”, que les entreprises françaises qui souhaitent commercialiser des masques à usage non sanitaire catégorie 1 ou 2, doivent apposer sur leur produit, après avoir fait réaliser leurs essais par un tiers compétent.
Il n’y a pas de masques certifiés AFNOR ou homologués par la DGA
Comme l’explique très précisément, Amandine Cha-Desollier, l’éditrice de tissus en coton biologique certifiés GOTS et produits en France, dans son excellente publication Des masques face à l’urgence, à la précision salutaire, il n’existe pas de masques certifiés AFNOR, ou homologués par la DGA.
Le guide publié par l’AFNOR n’est pas une norme, il s’agit de recommandations ou de spécifications ; d’ailleurs le document s’appelle SPEC S76-001 (unique version à ce jour).
Quant aux masques à usage non sanitaire (UNS) catégorie 1 ou 2 avec leur logo “Filtration garantie – Testé N lavages”, ils sont uniquement évalués puis approuvés par l’IFTH ou la DGA qui ont été désignés comme tiers compétents pour effectuer ces tests. Comme le rappelle la Direction Générale des Entreprises ici, “la mise sur le marché de masques « grand public » ne fait pas l’objet d’une autorisation, ni d’une homologation. Les fabricants qui souhaitent commercialiser leurs masques en tant que masques de catégorie 1 ou 2 doivent être en mesure de justifier le respect des spécifications attendues !”
Les étapes pour commercialiser des masques UNS
Concrètement, une entreprise française qui veut commercialiser des masques UNS de catégorie 1 ou 2 doit :
- Envoyer un certain nombre de prototypes à l’IFTH, qui se charge de répartir des échantillons auprès des organismes de test ;
- Demander à la DGE la publication des résultats de ces tests ;
- Indiquer de manière visible sur l’emballage les performances de filtration ;
- Fournir une notice d’utilisation pour le produit.
❗ Ces informations sont susceptibles d’évoluer. Vous trouverez les documents de référence sur le site Savoir faire ensemble, avec notamment un document d’accompagnement pour mise sur le marché des masques grand public cat 1 & 2.
❗❗ L’évaluation par l’IFTH/DGA ne concerne que la production nationale de masques UNS cat 1 & 2 !! Les importations de masques “grand public” faits à l’étranger sont également possibles. Mais jusqu’à peu, elles étaient assez peu encadrées. D’où la difficulté voire l’impossibilité de vérifier les conditions dans lesquelles les masques importés ont été produits et les tests conduits. Il y a 3 jours, un avis aux importateurs a été publié au Journal Officiel renforçant les consignes à respecter pour importer des masques « grand public ».
Il est également possible pour un confectionneur d’utiliser des assortiments de matériaux (appelés complexes) déjà testés par la DGA ou l’IFTH, sans avoir besoin de réaliser de nouveaux tests sur ces mêmes complexes. Mais il faut que ce soit les mêmes références et le même fournisseur. L’entreprise de confection doit être en mesure de de fournir les rapports de test effectués sur ces matières, elle doit également se faire référencer sur le site de la DGE, suivre les patrons décrits dans la spéc de l’AFNOR ou dans un document similaire publié par l’IFTH (téléchargeable ici) et faire un test en portant le masque pendant 4h (et vérifier donc qu’on peut respirer avec :). Tout le process est décrit ici sur le site de la DGE, il y a même un lien pour télécharger des fiches techniques de complexes ayant obtenu de bons résultats en filtration et en perméabilité à l’issue de leurs tests…
Mais je ne suis pas complètement sûre que ces fiches vous aident si vous voulez confectionner votre propre masque à la maison.
Quelles matières utiliser ?
C’est bien la question qu’on se pose !! Et à laquelle il n’y a pas de réponse claire. Encore une fois, nous vous invitons à lire l’article d’Amandine Cha Dessolier, l’éditrice des tissus, Les Trouvailles d’Amandine, qui peut permettre de séparer le bon grain de l’ivraie.
Pour la citer :
“Il faut utiliser des matières qui permettent à la fois de respirer tout en filtrant de très petites particules. Le tissu doit utiliser des fils fins, avoir une densité de fils conséquente pour la filtration, une armure et une contexture intéressantes. Les tissus tissés trop lâches ne conviennent pas : on respire mais on ne filtre pas. Si le tissage est dense mais avec des fils trop gros, nous avons la filtration sans la respiration. Il faut un tissage dense ou serré, avec des fils fins pour permettre la respiration & la filtration.”
L’entreprise Les trouvailles d’Amandine est d’ailleurs en attente des évaluations de la DGA sur plusieurs assortiments de leurs tissus, et publie les infos sur cette page.
A propos de la solidarité
L’article d’Amandine pointe également du doigt une certaine façon d’en appeler à la solidarité pour désamorcer toute discussion sur une rémunération juste.
Un grand nombre de personnes, notamment dont la couture est le métier, ont cousu un nombre incalculable de masques, bénévolement, très souvent en fournissant elles-mêmes les matières. Celles qui voulaient les vendre ont commencé à se faire houspiller sur des groupes qui s’étaient, il est vrai, créés pour répondre, avec les moyens du bord, à l’urgence des besoins des personnels soignants, qui, malgré ce qu’on disait, manquaient cruellement d’équipements. Bref la bonne ambiance (mais, me direz-vous Internet reste Internet, alors en période de confinement!! ), beaucoup d’amalgames et d’imprécisions ! Et puis surtout, une frontière très tenue entre bénévolat et travail déguisé, notamment lorsqu’il y a des cadences et une productivité imposées, sous couvert de solidarité teintée de la condescendance qu’on retrouve à propose de beaucoup de métiers manuels, a fortiori quand ils sont très féminisés. Un collectif de professionnel.le.s de la couture en a eu ras le bol et a lancé une pétition “Bas les masques” pour dénoncer cette situation et proposer des solutions.
Petite précision : Il ne s’agit, pour nous, en aucun cas de dire ici qu’il ne doit pas y avoir d’opérations solidaires, qu’elles soient complètement bénévoles ou à rémunération symbolique, ou encore de dons de matières. Nous avons participé à la mobilisation pour la fabrication parisienne de masques, en lien avec la Mairie de Paris, en organisant avec d’autres ressourceries du REFER, la logistique pour livrer des kits avec un complexe de matières approuvé DGA/IFTH pour faire des masques, à des couturier.e.s pro et non pro. Nous (associations du REFER) avons choisi d’intervenir de façon bénévole, et en livrant des quantités raisonnables, avec des délais adaptables à chacun.e. Par ailleurs, les personnes qui pouvaient facturer et qui l’ont souhaité, seront, elles, rémunéré.e.s par la ville, pour les masques qu’elles ont confectionnés (1€ TTC par masque, on peut certes discuter de ce montant, qui est symbolique, lorsque la confection du masque est faite de A à Z par une seule personne), et qui seront ensuite distribués gratuitement aux parisien.ne.es.
Bref, il s’agit surtout de rester vigilant.e vis à vis des injonctions à la solidarité, et des discours et pratiques, qui, ont pour effet, parfois involontaires, de discréditer toute discussion autour d’une rémunération juste (et donc pas forcément au « prix coûtant » – qui mériterait d’ailleurs définition et qui varie en fonction des situations de chacun.e – entreprise, association, indépendant.e, particulier…).
Et sinon, où trouver ces masques ?
De nombreuses collectivités ont annoncé la distribution gratuite d’une certaine quantité de masques à leurs habitant.e.s. Pour Paris, il s’agit de 2,2 millions de masques en tissu (réalisés avec des complexes de matériaux approuvés par la DGA), qui vont être distribués, mais dont la fabrication a pris du retard. D’après cet article du monde, les premiers masques en tissu vont pouvoir être retirés en pharmacie à partir du 11 mai. Gratuitement, mais après réservation sur Internet.
Les bureaux de tabac, la grande distribution, les pharmacies distribuent également des masques “Filtration garantie – Testé N lavages”. Les prix ne sont pour le moment pas encadrés par l’état.
Vous pouvez également acheter des masques “artisanaux” à votre couturier.e ou dans des boutiques. Ces masques n’auront en général pas fait l’objet du process d’évaluation détaillé plus haut. Car ce dernier n’est pas taillé pour des petites structures ou indépendant.e..s, qui disposent de gisement de matières hétérogènes et en petites quantités.
Va-t-on faire des masques à La Textilerie ?
Et pour finir, les précautions d’usage
Ces masques en tissu dits à usage non sanitaire ou “grand public” ou encore “barrière” servent à 2 choses :
- Renforcer la protection des autres en limitant nos postillons ;
- Améliorer nos gestes barrières en réduisant les contacts main-bouche.
Ils doivent être portés maximum pendant 4 heures, puis lavés à 60°C (pensez à les laver après achat). Ils doivent être manipulés, très précautionneusement par les brides ou les élastiques. Une fois portés, nous devons les garder en place (et pas les mettre sous le nez ou sous le menton), sous peine de devoir changer de masque.